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Coopération à distance ? On va perdre en convivialité et je préfère manger des croissants avec les gens

La question de la convivialité est au cœur des processus collectifs. Dans le monde associatif, c'est même souvent cette quête de convivialité, associée à la quête d'utilité, qui motive l'action collective.

En 1973, Ivan Illich a popularisé et défini plus finement la convivialité et son interaction avec les outils. Cette convivialité embarque les notions d'autonomie, d'interdépendance et de lien collectif aux outils. C'est une extrapolation politique de la définition de convivialité plus joviale de Brillat-Savarin en 1830. Ce dernier la définissait comme "le plaisir de vivre ensemble, de chercher des équilibres nécessaires à établir une bonne communication, un échange sincèrement amical autour d'une table".

Dans le monde contemporain, le fait qu'un outil numérique devienne un frein à la convivialité est une manifestation concrète de ce qu'Illich appelait la "contreproductivité de l'outil" : à un certain moment du développement industriel d'une société, les institutions et outils mis en place par cette dernière deviennent inefficaces et apportent plus de freins que de facilités à la satisfaction d'un besoin. C'est le cas quand :
  • l'école uniformise, discrimine et exclut au lieu de former,
  • la voiture immobilise au lieu de transporter,
  • la médecine rend malade au lieu de soigner,
  • l'énergie met en danger au lieu de contribuer au confort.

Le juste usage des outils numériques pour faciliter la convivialité est au cœur des réflexions de multiples collectifs du milieu "libre" et du monde de l'éducation populaire au numérique.

Voilà quelques questions que nous pouvons nous poser, pour vérifier si nos outils ont un effet salutaire sur la convivialité d'un groupe et l'autonomie de ses membres :
  • Nos outils numériques et nos pratiques à distance permettent-elles de faire à distance ce qui aurait pris du temps en présentiel, in fine au détriment de moments conviviaux ?
  • Nos outils numériques permettent-ils de cultiver l'interconnaissance et l'autonomie de chacun.e, lorsque la réunion physique est impossible ?
  • Nos outils numériques rendent-ils possibles l'expression orale ou la participation de celleux plus introverti.e.s pendant les temps en présence ?
  • Nos outils numériques permettent-ils à des publics concernés par nos actions mais éloignés physiquement de se joindre aux démarches ?

Comme dans beaucoup de sujets complexes, les effets bénéfiques de ces outils n'annulent pas les effets néfastes qu'ils peuvent avoir par ailleurs. Cependant, un groupe qui a conscience à la fois des effets néfastes et des effets bénéfiques des outils numériques sur la convivialité au sein du groupe a davantage de leviers à mobiliser pour aller vers la situation idéale et prévenir les dommages.

La Gare Centrale, pensée comme la porte d'entrée vers l'ensemble des outils d'un collectif, peut servir de "détecteur" de la convivialité de nos outils et usages : néanmoins, si accéder à un outil est difficile, si l'explication de son usage à toustes n'est pas rendue accessible et aisée ou encore si la gare centrale devient difficile à trier à cause du "trop-plein", alors il est temps de se reposer les questions de la contre-productivité de nos outils.